Tout raisonnement logique m'a quittée.
Le corps tordu par la douleur, c'est l'instinct primaire, animal, qui a pris le dessus. Pourtant, alors qu'une vague plus forte encore que les autres me déchire l'intérieur, ma conscience, tapie loin dans un recoin de mon esprit, ne manque pas de noter l'ironie de la situation : cet enfant qui s'est niché là où il n'aurait pas dû risque de priver ma fille et mon fils de la présence de leur mère dans leur avenir. Le souffle me manque, la peur se répand. Je ne suis plus maîtresse de moi-même, je voudrais juste revoir mes enfants, leur dire que je les aime, ne pas les abandonner derrière moi. Je suis partie comme une voleuse au milieu de la nuit, perclue de douleurs abdominales, loin d'imaginer que je pourrais les laisser orphelins.
Presque 10 heures plus tard, un médecin plus compétent que les autres, attérré par mon corps qui continue de s'arque-bouter malgré les doses massives de calmants, prend enfin l'initiative de poser un diagnostic et de m'envoyer d'urgence au bloc.
Enfin je me sens entourée. Je pleure sans m'en rendre compte et on essuie mes larmes, on me caresse la tête, on me rassure, on me réchauffe, on me murmure des mots dont je ne me souviens pas mais qui m'apaisent. Quand on me pose le masque à oxygène sur le visage, je demande si je reverrai mes enfants, on me sourit et je bascule dans l'inconscience.
4 heures plus tard je rouvre les yeux, incapable de bouger, pleine de cicatrices et d'ecchymoses mais de retour parmi les vivants. Il s'en est fallu de peu. Je vais revoir mes enfants.
J'aurais appris une leçon que l'on tend à oublier au quotidien : la vie ne tient qu'à un fil.